Mon dîner chez l'Ambassadeur

L'invitation était arrivée le lundi. Très sobre, me conviant à un dîner le jeudi à 20h à l'Ambassade d'un pays voisin et néanmoins ami. S'il m'est arrivé de fréquenter des réceptions et de côtoyer quelques autorités, un dîner dans une ambassade me paraît être une autre affaire. De quoi vous inciter à relire vos vieux précis de savoir vivre !


Premier point : la tenue. Comme aucune instruction n'était mentionnée sur le sobre carton d'invitation, j'en déduis que la tenue de ville est de rigueur. Le smoking restera dans l'armoire. Quant aux pompes, elles ont heureusement fait un crochet par le cordonnier. On la jouera sombre… c'est plus chic et plus amincissant.

L'exactitude est sans doute une vertu royale mais les ambassadeurs, fussent-ils représentants d'une république, y sont également attachés. Et ce n'est que quelques petites minutes après 20h que je franchis la grille de la résidence. Un aimable pandore en costume d'apparat m'attend, se saisit de mon invitation avant de me confier au personnel. Dans ce hall qui respire déjà le bon goût, on vous débarrasse de votre manteau avant de vous proposer d'attendre dans un petit salon. Fauteuils, tapisseries, toiles sur les murs vous mettent en condition! Quelques invités arrivent; chacun se présente mais difficile de retenir les noms et fonctions. Puis apparaît le Secrétaire d'Etat. Je connais mes classiques et lui donne du "Monsieur le Ministre".

Et voici l'Ambassadeur, une femme charmante qu'on appellera "Madame l'Ambassadeur" et non "Madame l'Ambassadrice", titre réservé à l'épouse de l'Ambassadeur. Mais personne ne peut me dire comment nommer l'époux de l'Ambassadeur ! On vous remplit vos coupes de champagne, les petits fours tournent. Toujours laisser les dames se servir d'abord. Ouf, je n'ai pas encore commis d'impair !

Madame l'Ambassadeur est servie

Et chacun suit l'Ambassadeur pour gravir l'escalier qui mène à la salle à manger. Là, à droite de l'entrée, un serviteur tient à la main un plateau sur lequel sont posées des étiquettes qui figurent le plan de table. Avec alternance homme-femme presque parfaite (nous sommes 15 !). Le Secrétaire d'Etat, invité d'honneur est évidemment assis à la droite de l'Ambassadeur.

Et voilà que débute le ballet du service. Des mains gantées de blanc s'emparent d'une assiette sans la moindre poussière pour y substituer une pièce tout aussi propre. Le tout est de ne pas paraître étonné, d'observer, tout en prenant soin de ne négliger aucun de ses voisins.

Et voici l'entrée, une tarte à l'aubergine. On sert évidemment les dames d'abord et à gauche. "A la française", cela signifie que vous vous servez vous-même… en tremblant de ne rien renverser. Les verres se remplissent. Excellent ce blanc mais je n'ose trop me pencher sur le menu pour l'identifier. J'aurai plus de chance avec le rouge qui accompagne de petits tournedos de veau accompagnés de quelques légumes… un excellent Chambolle-Musigny. Le fromage est évidemment +des plus satisfaisant et voilà qu'approche un très attirant dessert au chocolat. Mais la lame d'un couteau cliquette contre un verre. Petit discours de l'Ambassadeur. Auquel succèdera inévitablement en réponse le discours du Secrétaire d'Etat. Le dessert n'attend plus et chacun le savoure.

Voila que s'ouvrent grand les portes du salon qui jouxte la salle à manger. Et nous voici conviés à le rejoindre. Les cafés seront d'abord servis avant que des alcools ne soient proposés. Premiers départs. Une telle soirée ne peut s'éterniser. Comme je l'avais lu dans mon petit manuel, des rafraîchissements (toniques, jus de fruit) sont servis; c'est un peu (!) le signal du départ et chacun de saluer nos hôtes et de redescendre les marches. Il est 23h25. Une soirée remarquablement organisée et minutée. Un dîner à ranger au rayon des bons souvenirs. Et je n'ai toujours pas commis de faute !

Philippe Allard
    







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