Les seniors, nouvelle cible de la pub

Pour les démographes, on est "senior" à 50 ans. C’est tôt évidemment. En pratique, rares sont ceux qui se sentent seniors avant la retraite, ou au moins avant de devenir grands-parents. Quoi qu’il en soit, les seniors, donc les 50 ans et plus, représentent un tiers de la population belge et la moitié du pouvoir d’achat. Autant dire le groupe cible de consommateurs le plus important du marché. Dommage que la pub ne s’en rende pas compte.


Ainsi, à eux seuls, les seniors achètent plus de la moitié des voitures neuves, des eaux minérales, des confitures, etc. Et même un bon tiers des jouets pour enfants. C’est dire… Savez-vous par exemple que l’heureux possesseur d’une Harley Davidson, d’une Porsche ou d’une chaîne hi-fi Bang & Olufsen a typiquement près de 60 ans?

Pourtant, jusqu’ici, rares sont les sociétés qui se soient réellement intéressées à réaliser de la pub pour cette tranche d’âge. A part quelques spécialistes du 4e âge, qui commercialisent des produits très pointus et en fait peu excitants, comme les appareils auditifs, les lunettes de lecture, les conventions obsèques ou les couches pour incontinents, les entreprises ont toujours massivement préféré parler aux jeunes. Qu’ils aient les moyens de consommer ou pas, peu importe. Il faut toujours être branché, dans le coup, et il est évident - du moins c’est ce que les marketeers (responsables marketing) pensent - que parler aux seniors donnerait un sérieux coup de vieux à leurs marques.

Réalisme

Grave erreur évidemment. Toutes les enquêtes démontrent que les 50 ans et plus, voire la majorité des retraités, ne sont pas particulièrement conservateurs. Bien sûr, il sont des consommateurs qui ont eu le temps d’accumuler des biens, de multiplier les expériences, bonnes et mauvaises, et, surtout, développer des préférences et des habitudes. Il est clair qu’un homme de 65 ans qui a toujours bu de la bière consommera difficilement du vin, même si on lui soumet la meilleure pub du monde. Mais en réalité, le problème ne tient pas tant dans une excessive frilosité des seniors. Il provient surtout d’un manque total de volonté des entreprises de communiquer avec eux. Si vous avez soif et que personne ne vous propose une boisson qui vous plait, il est probable que vous achetiez celle que vous consommez déjà. Vous n’êtes pas dupe non plus. Ainsi, nombreux sont ceux qui disent ne pas vouloir changer de banque, pas tant parce que la leur est supérieure, mais plutôt parce qu’à peu près toutes se valent. Pas question ici de fidélité aveugle. Il s’agit tout bonnement de réalisme.

Volvo break ou Audi TT?

Ce désintérêt pour un tiers de la population est-il une bonne chose? Certains, surtout au-delà de 60 ans, pensent que oui. Ils se disent que, pour vivre heureux il vaut mieux vivre caché. Tant que la pub ne s’intéresse pas à eux, au moins, elle n’essaie pas de leur mettre tout et n’importe quoi dans les mains. En même temps, l’absence de ce type de communication pose au moins deux problèmes aux consommateurs plus âgés. D’une part, ils manquent d’informations, voire de solutions adaptées. Combien de fois n’a-t-on pas vu par exemple des retraités vouloir acheter un ordinateur ou un GSM et ne pas du tout trouver leur bonheur parmi les centaines d’offres obscures du marché? D’autre part, ils souffrent beaucoup des a priori de décideurs qui ne les connaissent décidément pas. C’est de cette façon que naissent les ghettos! Deux exemples: La voiture préférée des seniors européens est l’Audi TT. Les spécialistes marketing pensent que c’est la Volvo break. Contrairement à ce que l’on pense, ils sont les premiers consommateurs de produits Bio et d’aliments innovants, comme les margarines à l’huile d’olives.

Face au jeunisme

Faute d’ouvrir les yeux, les entreprises laissent donc une partie de leur cible à l’écart. Et lorsque, enfin, elles se décident à faire vaguement quelque chose, elles s’imaginent qu’écrire plus grand et montrer un couple aux cheveux blancs heureux sur une plage dans une pub va les convaincre. Parfois, elles font même pire, comme cette banque qui vantait les mérites d’un compte pour adolescents, en se moquant de leurs grands-parents, et en oubliant ipso facto l’influence déterminante qu’ils peuvent avoir dans le choix d’une institution financière. Qui prescrit à qui? Bien sûr un adolescent connaîtra généralement mieux les dernières technologies. Normal, c’est de sa génération. Mais pour le courtier? Le supermarché? Les ingrédients de la cuisine? Le micro-ondes? La voiture? Avec un peu de bon sens, on se rend compte très vite que les seniors sont à la base d’une bonne partie des achats, des plus petits aux plus grands. Ignorer cela nuit à tout le monde. Aux consommateurs, qui manquent donc d’informations et aussi de produits adaptés à leurs besoins, et peut-être plus encore aux entreprises, dont le meilleur groupe cible devient parfaitement indifférent, quand ce n’est pas hostile.

Le monde du marketing et de la pub va-t-il changer? Espérons-le, mais c’est encore loin d’être le cas. C’est que le jeunisme a la vie dure. Mais depuis cette année, les premiers enfants de l’après-guerre, les "baby-boomers" ont commencé à prendre leur retraite. Ils sont plus nombreux que tous les pensionnés qui les ont précédés, en bonne santé et probablement plus riches. Dans 20 ans, quand toute cette génération innombrable aura dépassé l’âge de 50 ans, la moitié de la population dans toutes les nations industrialisées sera senior. Rient qu’en Belgique, il y aura ainsi 1 million de personnes de plus de… 80 ans. Les publicitaires et responsables marketing qui voudront encore ignorer cette cible en seront alors pour leurs frais. Tant pis pour eux et tant mieux pour ceux qui auront voulu comprendre plus vite.

Frédéric Bay









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