Harcèlement au travail

Longtemps tabou, le harcèlement moral ou sexuel au travail a récemment fait l'objet d'une réglementation suite à la pression engendrée par la publication d'ouvrages sur ce phénomène mettant en exergue la nécessité d'intervenir d'une part et à la médiatisation de plusieurs affaires d'autre part. Comment le législateur a-t-il abordé cette délicate problématique? Que signifie ce terme particulièrement subjectif - et souvent galvaudé - de harcèlement?


La loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel ou travail est entrée en vigueur le 1er juillet 2002. Peu d'applications pratiques sont recensées actuellement et un bilan devra donc être fait en temps opportun.

Sur papier voici comment la loi a imaginé maîtriser ce type de comportement : l'accent est mis sur la prévention avant le développement d'un volet répressif.

Les concepts employés

La nouvelle loi a été intégrée dans celle du 4 août 1996 sur le bien-être au travail. Elle met en place un système protecteur spécifique au droit du travail qui n'était pas envisageable sur base des dispositions existantes.

Elle a une portée très large puisqu'elle vise tant les employeurs que les travailleurs du secteur privé et public ainsi que toute personne qui entre en contact avec les travailleurs lors de l'exécution du travail. (clients, fournisseurs, étudiants, …).

Les trois termes sont définis de la manière suivante :

  • violence : "chaque situation de fait où un travailleur est persécuté, menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors de l'exécution du travail";
  • harcèlement moral : les conduites abusives (ce qui exclut les situations de stress à proprement parlé ou les directives et instructions justifiées des employeurs, essence même du contrat de travail) et répétées de toutes origines, externes ou internes à l'entreprise ou l'institution, qui se manifestent notamment par les comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes, des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet (tant les comportements volontaires qu'involontaires sont donc visés) de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l'intégrité physique ou psychique d'un travailleur ou d'une autre personne lors de l'exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Cette définition est loin d'être circonscrite à une situation particulière et devra donc être précisée par la pratique. Les termes utilisés et plus particulièrement ceux soulignés balisent les contours de la définition.

  • harcèlement sexuel : "toute forme de comportement verbal, non verbal ou corporel de nature sexuelle, dont celui qui s'en rend coupable, sait ou devait savoir qu'il affecte la dignité de femmes et d'hommes sur les lieux de travail".

En droit pénal, le harcèlement est défini comme suit par l'article 442 bis du code pénal : "quiconque aura harcelé une personne alors qu'il savait ou aurait dû savoir qu'il affectait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d'un emprisonnement de 15 jours à 2 ans et d'une amende de 50 BEF à 300 BEF ou de l'une de ces peines seulement. Le délit prévu par le présent article ne pourra être poursuivi que sur la plainte de la personne qui se prétend harcelée". C'est une définition plus vague à portée générale qui a trouvé peu d'application dans la pratique du droit du travail, elle ne vise toutefois que la victime qui doit personnellement se plaindre contre l'auteur direct du fait.

Le volet préventif

La politique de prévention est prévue sur trois niveaux : primaire (éviter le risque, par exemple en étudiant les aménagements matériels des lieux de travail, en informant, en sensibilisant les travailleurs,…), secondaire (éviter le dommage, par exemple par l'information claire des moyens dont la victime dispose pour obtenir de l'aide) et tertiaire (limiter le dommage, par exemple par la prise en charge des victimes, par la remise au travail,…).

Le pilier de ce système de prévention est constitué par des conseillers spécialisés, le "conseiller en prévention", assistés de "personnes de confiance".

Chaque entreprise doit donc mettre en place un dispositif de prévention interne ou externe selon que l'entreprise emploie plus ou moins de 50 travailleurs. L'employeur doit veiller à informer l'ensemble des travailleurs de l'ensemble des mesures adoptées notamment par le biais du règlement de travail.

Le volet répressif

La loi privilégie le traitement interne des situations de violence, harcèlement moral ou sexuel ou travail confié au conseiller en prévention.

Si ce traitement interne n'aboutit pas, c'est l'inspection du travail qui sera saisie de la question par le conseiller en prévention en concertation avec la victime qui peut par ailleurs également envisager de porter plainte au pénal, ce qui va toutefois complexifier le traitement du problème eu égard à la multiplication des intervenants.

La saisine d'un intervenant externe au niveau pénal à savoir le parquet devrait être réservé aux cas d'extrême gravité (par exemple un attentat à la pudeur, un viol ou une tentative de viol,…) dès lors que le but de la loi du 11 juin 2002 n'est pas de confier au droit social le traitement des infractions de droit pénal commun parce qu'elles sont en rapport avec le travail.

En pratique donc, dans le respect de l'esprit de la loi et de la logique, la plaignant s'adresse au service spécialisé interne ou externe à l'entreprise et plus spécifiquement à la personne de confiance qui va écouter et tenter une première conciliation avant de transmettre le cas échéant le dossier au conseiller en prévention qui lui-même dans un esprit de conciliation tentera de solutionner le conflit avant de recevoir une plainte motivée.

La protection des travailleurs contre ce phénomène s'organise autour de différentes procédures. Ainsi, toute personne qui justifie d'un intérêt peut intenter devant le tribunal du travail une procédure visant à faire respecter les dispositions de la loi (c'est l'action en cessation)

La protection du travailleur contre les représailles éventuelles qui pourraient être exercées par l'employeur suite à la dénonciation d'un fait consiste en une restriction du droit de licencier le travailleur qui a introduit une plainte motivée ou une action en justice pour les faits visés.

Dans ce cas, l'employeur ne peut mettre fin à la relation de travail ni modifier unilatéralement les conditions de travail que pour des motifs étrangers à cette plainte ou à cette action, la protection joue sur une période de 12 mois qui suivent le dépôt de la plainte ou sur une période de 3 mois qui suivent un jugement définitif. En cas de licenciement, c'est à l'employeur de rapporter la preuve de ce que cet acte est étranger aux dénonciations de fait de violence ou harcèlement.

Si le travailleur ainsi licencié sollicite une réintégration refusée, il pourra bénéficier d'une réparation forfaitaire ou réelle (s'il prouve un dommage plus important) dans la mesure où la juridiction du travail saisie de ce conflit considérera que le licenciement est bien la conséquence du dépôt de la plainte sans se prononcer sur le fondement de celle-ci.

Si le travailleur n'a pas sollicité sa réintégration, il pourra bénéficier d'une réparation si la juridiction saisie considère comme établis les faits de violence ou de harcèlement dénoncés.

Des obligations réciproques

La loi n'a pas seulement prévu des obligations dans le chef des employeurs, le droit et la protection des travailleurs reposent sur des obligations corollaires à savoir :

  • participer positivement à la politique de prévention
  • s'abstenir de tous actes de violence ou harcèlement
  • ne pas faire un usage abusif de la procédure de plainte telle que prévue par la loi.

Dans son exposé des motifs, la ministre de l'emploi admet que cette dernière obligation est particulièrement importante : "la protection d'une victime contre tout acte de violence ou de harcèlement peut avoir comme conséquence qu'une personne qui est accusée à tort d'un tel acte resterait démunie de tout droit. Il ne peut en effet être exclu qu'une loi qui a pour objet de protéger les personnes puisse avoir des effets pervers surtout lorsque la réputation de l'auteur prétendu est mise en cause par vengeance ou par mauvaise foi. C'est pourquoi chaque plainte devra être dûment motivée" (document parlementaire chambre 2001-2002 n° 1583/003 p.9). 

Comptons sur la responsabilité de chacun….

Me Muriel Duriaux









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