Les paruriers de la haute couture
Célèbres ou inconnus, les paruriers travaillent depuis longtemps au service des maisons de haute couture les plus prestigieuses mettant leurs savoir-faire à la disposition des créateurs de mode pour illuminer robes et costumes.
"Et puis les joyaux, les grands joyaux mythiques, ne se portent presque plus; ce sont des valeurs historiques, aseptisées, embaumées, coupées du corps féminin, condamnées au coffre-fort. Bref, la mode – et c’est tout dire – ne connaît plus le joyau, mais seulement le bijou", écrivait Roland Barthes.
Les paruriers
Ce terme "parurier" choisi pour titre de l’exposition proposée par Grand-Hornu Images recouvrait principalement les "métiers d’arts" tel le brodeur, le plumassier, le boutonnier ou le bottier mais incluait également le fabricant de bijoux fantaisie, devenu rapidement le "bijou de couture".
Ces ateliers de paruriers sont à considérer comme un vivier de créations foisonnantes où puisaient tout à la fois rédactrices de magazines, photographes de mode fabricants de textiles ou stylistes en vogue.
Il n’était pas rare non plus d’y rencontrer des clientes célèbres venir se faire à "façon" quelques parures somptueuses pour des soirées restées légendaires, tant ces dernières avaient conscience du talent et du génie de ces artisans.
En tournant les pages de la presse féminine de l’époque, on peut réaliser à quel point l’utilisation réitérée de mêmes bijoux de couture pouvait servir de soutien promotionnel pour les griffes de vêtements ou les marques de tissus.
Ces artisans du rêve verront la fin de leur âge d’or dans les années 1970, avec l’avènement du prêt-à-porter, et disparaîtront progressivement, ne sachant – ou ne voulant – répondre à la demande d’une nouvelle esthétique industrielle, craignant de perdre la primauté du "tout fait main".
A notre époque demeurent quelques professionnels qui, contre vents et marées, perpétuent une tradition, même s’ils ont tendance à disparaître en même temps que les maisons de haute couture, leurs principaux clients.
C’est donc à l’aune de connaissances et de procédés parfois fort anciens, à la répétition inlassable de gestes transmis par des générations d’apprentis qu’il faut mesurer aujourd’hui l’œuvre de cette corporation, autrefois réuni en une guilde, avec ses secrets de fabrication jalousement gardés.
Le bijou de couture
Imposés dès les années 1930 par quelques grands noms de la mode afin d’accessoiriser leurs collections, ces bijoux de couture n’avaient, dans un premier temps, d’autres prétentions que d’embellir, étonner et surprendre autrement que par de somptueuses rivières de perles ou de diamants.
Toujours réalisés en petites séries lorsqu’ils n’étaient pas des pièces uniques pour quelques clientes privilégiées, ces bijoux, malgré leur succès immédiat, ne connurent toutefois qu’un destin en marge des maisons de couture, étant intimement liés à l’essor ou au déclin de celles-ci.
L’utilisation emblématique du "bijou" par les couturiers relève plus d’une opportunité que de la nécessité ; mais s’il est un choix aléatoire et obligé pour certains, il n’en reste pas moins un accessoire essentiel pour la plupart. Utilisé avec talent, le bijou est un accompagnateur soucieux et rehausse une silhouette sans la charger, lui donnant cette touche finale d’extravagance "chic" et de fantaisie indispensable. Il offre une image de complétude valorisante et touche au plus près de "l’ornement" féminin et de sa symbolique.
Ces bijoux non précieux sont aussi une forme de témoignage de l’évolution des mœurs et de la condition de la femme. Celle-ci s’est progressivement libérée des contraintes et en même temps, s’est aussi détournée du bijou précieux. Le bijou, pour elle, n’est plus signe de reconnaissance sociale. Il est devenu le moyen d’exister et de se mettre en scène pour révéler sa propre personnalité.
En haut, de gauche à droite : Coppola e Topo pour Valentino, Astuguevieille pour Ray Kawakubo, Maison Gripoix pour Cissy Zoltowska. Au centre : Rober Goossens pour YSL. En bas, de gauche à droite : Caillol pour YSL 1983, Rober Goossens pour Chanel, Roger Jean-Pierre pour Balenciaga, Maison Gripoix pour Louis Féraud (© Hugo Martens).
L’exposition au Grand-Hornu
L’exposition trouve son origine dans la très belle collection des époux Sigal qui, depuis plus de 20 ans, rassemblent avec passion des bijoux fantaisie, sans aucune référence. Le seul critère guidant leur démarche est de ne conserver toujours que les pièces présentant à leurs yeux ce côté "couture" qu’ils ont appris à découvrir – et à aimer.
Lorsque Françoise Foulon et les époux Sigal imaginèrent ensemble ce projet d’exposition, ils ont immédiatement pensé qu’une collection personnelle, si représentative soit-elle, ne suffisait pas à montrer au public l’extraordinaire diversité créative des paruriers français du XXe siècle en matière de bijou.
Grâce à la complicité et l’enthousiasme de quelques autres collectionneurs, ainsi que l’aide d’institutions publiques ou d’enseignes privées comme entre autre la maison Chanel, ils ont pu réunir pour la première fois un ensemble exceptionnel de "bijoux de couture" aux fins qu’il soit exposé dans les salles si particulières du Grand-Hornu, en Belgique.
Afin de rendre l’hommage qui est dû aux paruriers eux-mêmes, il a été sciemment évité de refaire l’énième parcours hagiographique des grands noms de la couture, préférant asseoir la démonstration sur un artisanat d’exception longtemps négligé tant par les historiens que par les institutions de la mode.
Quant au choix des pièces, loin d’être exhaustif, il répond très exactement au concept suivant: proposer un ensemble cohérent qui respecte la pluralité des styles tout en s’attardant sur les pièces ayant esthétiquement une valeur sûre.
La manifestation met l’accent aussi sur l’omniprésence du couturier à toutes les étapes du travail du parurier avec lequel une relation privilégiée existe puisque le couturier ne "crée" aucun bijou; il s’en remet pour cela aux paruriers.
Ces derniers proposent alors à chaque saison une collection de bijoux "dans l’esprit de", susceptible d’être améliorée par la suite par le célèbre "de", parfois au dernier moment et même dans l’urgence d’un défilé !
Les pièces sont dans un premier temps créées et réservées aux défilés de mode. Viennent ensuite les multiples qui sont destinés, quant à eux, aux "boutiques" attenantes aux maisons de couture où étaient présentés en permanence les dernières collections ainsi que divers accessoires susceptibles de les accompagner.
On peut s’étonner, en parcourant l’exposition, d’une époque qui a su user avec un tel soin de la "fantaisie" et de cette manière inouïe de créer à partir de "rien"… un "rien" qui a pourtant germé du talent de toute une corporation.
Et à consulter les dessins soigneusement consignés, les registres d’ateliers où sont répertoriés les différents modèles comme autant d’archives précieuses, nous comprenons mieux le cheminement entre la richesse infinie des formes proposées et la diversité des styles ou des techniques utilisés.
Il n’existe pas d’équivalent dans l’histoire de la parure –excepté peut-être pour le théâtre – où un tel substitut des matières soit à ce point distancié de l’effet recherché : le bijou de couture puise principalement sa force et son originalité dans ce côté "décalé", cette tendance irrépressible à jouer avec la disproportion, créant une réelle rupture par rapport à la joaillerie classique.
Comme on peut le constater au regard des pièces montrées, il n’existe pas d’intention de vouloir reproduire ou imiter la joaillerie classique mais plutôt une réelle volonté de re-création inspirée, opposant au classicisme et à la rigidité du "vrai", aux caractéristiques calibrées du "précieux", une exubérance et un baroquisme sans égal, une esthétique de panache n’en finissant pas de se redéfinir de manière effrontée.
Tout cela confère un sentiment pince-sans-rire dont la fausseté vraie met en valeur des perles soufflées, des strass irisés et autres cabochons taillés du Tyrol.
Face au conformisme ambiant, les bijoux de couture tirent leur épingle du jeu et se libèrent d’une charge de convention bourgeoise étriquée ; ils se plaisent sous nos yeux à signifier leur appartenance à l’éphémère et à l’ostensible négation du réel.
A côté des bijoux eux-mêmes, de quelques robes dont l’objet sera d’être "cimaise", un véritable atelier de parurier est reconstitué. Il a pu exister dans une arrière cour de maison de province ou au cœur d’un petit appartement parisien et montre à merveille l’humilité de ces magiciens du rêve à qui le Grand-Hornu ouvre ses salles.
Informations pratiques
Site du Grand Hornu
Rue Ste Louise, 7301 Hornu (à proximité de Mons)
Tél. +32(0)65 65 21 21 - fax +32(0)65 38 97
E-mail :
Site web :
Du 15 octobre 2006 au 18 février 2007
Ouvert tous les jours de 10 à 18 heures, sauf le lundi.
Prix :
- billet combiné Site du Grand-Hornu/MAC’S/Grand-Hornu Images : 6 euros
- tarif groupes (minimum 15 personnes) : 4 euros
- groupes scolaires : 2 euros
- gratuit pour les enfants de moins de 6 ans
Visites guidées (sur réservation) des expositions et/ou du site historique (en français, néerlandais, allemand ou anglais)
Numéro de contact réservation : +32 (0) 65..38.81.
Audio-guidage pour la découverte du site historique (français, néerlandais, allemand, anglais, italien ou espagnol) : 2 euros