Guben-Gubin: ville double ou ville divisée?

La ville de Guben se trouve au sud du land de Brandebourg sur les bords de la Neiße. En Allemagne. Le centre historique de la ville, lui, se situe en Pologne. Il constitue une partie de la ville de Gubin depuis 1945, la signature du traité de Potsdam et le tracé de la ligne Oder-Neiße comme frontière entre Allemagne et Pologne.


En décembre 2007, la Pologne est entrée dans l’espace Schengen et les postes-frontières entre Guben et Gubin ont disparu. Le temps du rapprochement est venu, Guben et Gubin doivent se redéfinir, notamment vis-à-vis de l’extérieur: ville double ou ville divisée?
De part et d’autre de la frontière, l’aménagement du territoire se révèle riche en histoire: de quoi rassasier les plus curieux!

Un pont entre deux rives

Qui met les pieds pour la 1re fois à Guben ou à Gubin sera tout d’abord intrigué par la géographie urbaine de ces deux villes s’étendant chacune sur une rive de la Neiße.

Sur la rive ouest, côté allemand, la Mairie de Guben interpelle: plantée là, sur une place bien proprette, elle semble sortir de son chapeau! Et ce n’est pas peu dire: lors du tracé de la frontière Oder-Neiße en 1945, la ville de Guben a du développer un nouveau centre, le centre historique revenant aux polonais. Résultat, l’administration de la ville s’est installée dans les bâtiments des usines de chapeaux Wilke et Berlin-Gubener Hutfabrik, de celles qui faisaient la fortune et le renom de la ville au XIXe siècle. Sur la rive est de la Neiße, côté polonais, la mairie présente un caractère plus historique.

Mais d’un côté comme de l’autre, les rues mèneront sans équivoque au pont permettant de passer la Neiße à pied, en cheval et en voiture. Là où oeuvraient encore en décembre 2007 les gardes frontières des 2 pays. Aujourd’hui, seule la signalisation routière et 2 bornes peintes aux couleurs respectives des pays marquent encore la frontière germano-polonaise et le passage d’une ville à une autre. Une certaine unité dans la dualité?

Une église principale pour deux villes

Juste derrière le pont sur la Neiße qui fit longtemps office de poste frontière s’élève l’incontournable "Eglise de la ville et Eglise principale", silhouette historique des lieux dont l’état de ruine symbolise la destruction de la ville à plus de 80% lors de la Seconde Guerre mondiale.

Lorsque les Russes sont arrivés, les Allemands ont brûlé les documents compromettant dans l’Eglise. C’était en avril 1945. Le toit a disparu et les fenêtres ont fondu, explique Andreas Peter, historien de la région ayant écrit un livre sur l’histoire du bâtiment.

Aujourd’hui, une fondation polonaise et une association de soutien allemande travaillent ensemble à la restauration de l’édifice. Pas toujours facile d’intéresser les Allemands pour l’Eglise, ajoute l’historien passionné. Beaucoup pensent qu’étant donné que l’édifice religieux se situe côté polonais, il revient aux Polonais de s’en occuper.

Les efforts conjoints sont parfois diffciles, les coûts de rénovation élevés. Mais doucement l’Eglise reprend forme.

Un centre historique côté polonais

La division de la ville en 1945 fut brutale. C’était le 20 juin 1945, peu avant la signature du traité de Potsdam, explique Andreas Peter, historien de la région. Les soldats russes ont demandé aux Allemands de prendre leurs cliques et leurs claques et de partir de l’autre côté de la Neiße, leur arrachant parfois leurs objets de valeur. Les Allemands se sont donc rassemblés dans ce qui constitue l’actuel Guben. Quant au centre de la ville, situé à l’est de la Neiße, il est devenu polonais.

Bien que la ville ait été détruite à plus de 80%, l’histoire s’y laisse aujourd’hui encore conter à tout coin de rue. Là, les restes d’un monument à la gloire de l’Empereur Guillaume 1er. Là, un monument commémorant l’emplacement de la synagogue disparue lors de la nuit de cristal en 1938. Plus loin, une grosse tour de briques devenue rond-point rappelle les fortifications de la ville. Et près d’un parc, une porte et un pan de mur en briques rouges font illusion: du fait de la disparition des maisons voisines, ils dégagent une certaine ancienneté. Mais en réalité, ils furent reconstruits il y a environ 150 ans et n’appartenaient donc pas aux fortifications de la ville d’antan dont les avenues entourant le centre de Gubin rappellent l’emplacement.

 

Une petite île menant au septième ciel

Autre particularité inscrite dans l’histoire de la ville, la petit île de la Neiße, elle aussi proche du pont central reliant Guben et Gubin. Située côté polonais, elle accueille aujourd’hui un parc public.

Une fois encore, des vestiges rappellent les temps passés. De vieilles marches commémorent à leur manière la présence du théâtre de la ville, inauguré en 1874 avec une représentation du "Faust" de Goethe. La Seconde Guerre mondiale épargna le bâtiment, toutefois rasé par les Polonais une fois la frontière établie. La petite île était en effet si proche de la frontière qu’un no man’s land lui était alors préférable.

Pour célébrer l’entrée de la Pologne dans l’espace Schengen et la libre circulation des citoyens de par et d’autre de la Neiße, un petit pont de bois a été inauguré en décembre 2007, reliant l’île polonaise à la rive allemande, aménagée en terrasses et jardin public bien agréables.

Le pont plus ancien permettant de rejoindre la rive polonaise mène à un escalier qui, selon les dires populaires, mènerait au 7e ciel. Il permet en tout cas d’admirer - certes un peu à bout de souffle - Gubin et surtout Guben: ce n’est pas la verdure qui vient à manquer!

Du temps des chapeaux
et de l’industrie chimique

Ville du textile dès le XVIe, Guben tirait au XIXe sa renommée de ses chapeaux, "mondialement connus pour leur bonne qualité" – selon le proverbe populaire (en allemand : "Gubener Hüte – weltbekannt durch ihre Güte").

Une des fortunes locales, celle de la famille Wilke, marque encore paysage et esprits. Les habitants de Guben se rappellent non sans fierté de Friedrich Wilke, devenu prospère pour avoir inventé le traitement des chapeaux évitant qu’ils ne deviennent tout plats par temps de pluie. Quant à l’usine Wilke née dans les années 1860, elle a continué de fonctionner du temps de la RDA mais ne survécut pas à la réunification. Comme beaucoup.

Après la Seconde Guerre mondiale, un des gros employeurs de la région était l’usine de fibres chimiques VEB CFK Guben. Quelque 7.200 personnes y travaillaient en 1989. Un accord entre Guben et Gubin permettait aux Polonais de venir travailler à l’usine en bus. Un geste de Wilhelm Pieck, le 1er président de la RDA envers les habitants de Gubin où on peut aujourd’hui encore admiré la façade toute verte de sa maison, non loin d’un poste de police abandonné. L’usine contribua au développement de la ville de Guben, notamment des années 60 à 90. De nombreux quartiers virent le jour pour accueillir les travailleurs du combinat.

Aujourd’hui, la zone industrielle a été privatisée, rationalisée et 500 personnes seulement y travaillent. Certains quartiers de Guben se vident, les jeunes partant chercher du travail ailleurs. Dans le quartier d’Obersprucke par exemple, non seulement les écoles ferment, mais des immeubles sont aussi régulièrement démontés.

Les pommes de Guben

Autrefois, les environs de Guben étaient plantés en vignes. Puis les habitants se sont mis à boire le vin français... résultat, les vignobles sont devenus vergers. Une histoire qu’Irmgrad Schneider raconte volontiers aux plus curieux. A 76 ans, cette petite dame au regard malicieux fait preuve d’une énergie incroyable et sait vanter les mérites de son association Pro Guben: Pourquoi les pommes de Guben devraient-elles finir sur un tas de composte alors que les habitants remplissent leurs chariots de briques de jus de pommes dans les supermarchés? Gaspillage.

Tout un système a été mis en place, invitant les fermiers, jardiniers et autres propriétaires de pommiers à déposer leurs pommes en un lieu commun. De là, les fruits sont transportés ensemble vers le pressoir et chacun peut acheter á moindre coût le jus produit. Transport en commun = réduction des émissions de CO2, ajoute madame Schneider non sans une certaine modernité.

Les activités de son association ne s’arrêtent pas là: pourquoi ne pas en profiter pour répertorier les différentes sortes de pommes de la région ou encore comparer les variétés d’autrefois et d’aujourd’hui ? Un catalogue a été mis en place en 2003. Plus de 400 variétés y sont actuellement répertoriées, dont la fameuse "Warraschke de Guben". L’occasion également de remettre sur pied la société des experts de la pomme, la "pomologische Gesellschaft", qui existait déjà il y a 200 ans. "Et pour la fête de la pomme, pour la fête de la ville, nous avons aussi préparé des costumes traditionnels. C’est la partie de nos activités qui nous permet d’alléger un peu le poids du quotidien!" s’exclame madame Schneider.

Informations pratiques

  • Office du tourisme (allemand, anglais, polonais):
    www.touristinformation-guben.de
  • Site de la ville de Gubin, côté polonais (allemand, anglais, polonais):
    www.gubin.pl
  • Site de la ville de Guben, côté allemand (allemand):
    www.guben.de
  • Site consacré à la ville double (allemand, polonais):
    www.guben-gubin-2030.de
  • Plan de la ville de chaque côté de la frontière :
    www.internetstadtplan.com/Guben/revilakmap.html
  • Fondation polonaise pour la reconstruction de la cathédrale (polonais):
    www.fara.gubin.com.pl
  • Association de soutien allemande pour la reconstruction de la cathédrale (allemand):
    www.stadtkirchegubin.de
  • Maison d’édition sur Guben-Gobin et la région d’Andreas Peter (allemand, polonais):
    www.niederlausitzerverlag.de

L'association Pro Guben invite tout un chacun à se renseigner sur l’agriculture et l’écologie dans les environs, le mercredi de 9 à 12 heures au 8 de la rue Gasstraße, côté allemand.

Coup de coeur dans les environs: les vignes de Grano, avec dégustation de vin. Un groupe de sympathiques vignerons autodidactes à la retraite soignent un hectare de vignes comprenant 10 sortes de cépages de vignes différents. Contacter Helmut Moelle au +49 35693 45 61.

Charlotte Noblet









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