Le droit au respect de la vie privée au travail
Le travail, c’est le travail mais le travailleur a droit au respect de sa vie privée même pendant qu’il est au travail sous l’autorité de son employeur. Mais ce principe simple demande quelques développements.
L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales précise que :
- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique (note : il en va de même des personnes privées) dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté, au bien – être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’article 22 de notre constitution a le même objet.
Ce principe fondamental reste t-il d’application une fois franchie la porte de son bureau ? Autrement dit un employeur peut – il ou non surveiller son personnel, écouter les conversations, lire les e-mails,… dans le cadre de son indéniable droit de contrôle du travail presté ?
Deux principes fondamentaux face à face
La loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail précise que le travailleur doit exécuter son travail en se conformant aux ordres et instructions de son employeur et en respectant ce dernier tout comme les convenances, les bonnes mœurs, avec soin, probité et conscience au temps, lieu et dans les conditions convenues.
L’employeur peut donc légitimement exiger que son travailleur se concentre sur le travail convenu pour lequel il le rémunère. Par ailleurs, le travailleur reste même au travail un être privé qui a droit au respect de sa vie privée, de son intégrité physique, psychique,… La loi sur le contrat de travail prévoit ainsi une obligation de respect réciproque entre le travailleur et l’employeur.
Comment concilier ces intérêts ? Les cas d’application pratique ne sont pas rares Ils concernent toute la vie de contrat de travail, depuis le recrutement jusqu’à la rupture. Les exemples sont frappants dans le cadre des licenciements pour motif grave :
- un ouvrier qui est occupé dans un hangar équipé d’un système de surveillance vidéo, commet un vol : il est licencié pour motif grave sur base des constatations faites par l’employeur lors du contrôle des bandes enregistrées;
- une employée de bureau utilise le réseau internet et e-mail à des fins privées, ce qu’invoque l’employeur pour justifier son licenciement après analyse du programme de son poste informatique.
Inversement, un employé, durant ses heures de prestations, transmet par e-mail à contenu privé, un virus à un tiers, viole des droits d’auteur ou les bonnes mœurs. La responsabilité de l’employeur face au dommage crée par son préposé est mise en cause.
Intervention règlementaire
C’est au niveau des partenaires sociaux que des règles spécifiques ses sont dégagées. Des textes à portée plus générale préexistaient notamment au niveau européen, sans oublier l’article 314 bis du code pénal qui condamne la violation des télécommunications privées ou encore la loi "Belgacom" du 21 mars 1991 qui réglemente les conditions dans lesquelles un tiers peut prendre connaissance des données transmises par voie de télécommunications.
Surveillance par caméras vidéo
Ainsi, une première convention collective de travail (en abrégé CCT), n° 68 du 16.06.98 (arrêté royal du 20 septembre 1998 - Moniteur belge du 02 octobre 1998) traite de la surveillance par caméras sur les lieux de travail avec enregistrement ou non des images : un cadre d’utilisation est fixé par cette CCT.
Les finalités de cet usage sont limitativement énumérées : la sécurité et la santé, la protection des biens de l’entreprise, le contrôle du processus de production ( machines ou travailleurs c’est-à–dire dans ce cas, l’évaluation et l’amélioration de l’organisation du travail) ou le contrôle du travail du travailleur.
La surveillance peut être temporaire ou permanente selon les cas. Une règle de proportionnalité est définie : l’usage doit être adéquat, pertinent et non excessif au regard de la finalité exprimée.
Une procédure d’information doit être respectée préalablement (information collective) et lors de la mise en œuvre de la surveillance (information individuelle). L’information porte sur la finalité, le caractère permanent ou temporaire de la surveillance, le nombre et l’emplacement des caméras ainsi que sur la conservation ou non des images.
Ainsi, le travailleur "pris la main dans le sac" par caméra interposée, pourra s’opposer à ce que ce moyen de preuve soit invoqué si la procédure ou les finalités de la surveillance n’ont pas été respectées.
Communications électroniques
Une CCT N° 81 du 26 avril 2002 (arrêté royal du 12 juin 2002) aborde la problématique du contrôle des données de communication électroniques sur le lieu de travail : sont concernées les communications électroniques en réseau interne et externe quel qu’en soit le support lorsqu’il s’agit de les collecter sur le lieu de travail dans le but de les contrôler et de les attribuer si nécessaire à un travailleur. Concrètement sera, par exemple, visé l’installation d’un fichier de journalisation des connexions .
La possibilité d’accéder et d’utiliser les moyens de communication électronique de l’entreprise par les travailleurs à des fins autres que professionnelles, n’est pas réglée par la convention : cette question reste donc du ressort de l’employeur qui peut ou non permettre cet usage à son personnel.
Toutefois, lorsqu’un contrôle des données électroniques est effectué, celui–ci doit se faire dans le respect des conditions fixées. Ainsi, la finalité du contrôle doit être justifiée par l’une ou plusieurs des situations suivantes :
- la prévention de faits illicites ou diffamatoires, de faits contraires aux bonnes mœurs ou susceptibles de porter atteinte à la dignité d’autrui;
- la protection des intérêts économiques, commerciaux et financiers de l’entreprise auxquels est attaché un caractère de confidentialité ainsi que la lutte contre les pratiques contraires;
- la sécurité et/ou le bon fonctionnement technique des systèmes informatiques en réseau de l’entreprise, en ce compris le contrôle des coûts y afférents, ainsi que la protection physique des installations de l’entreprise;
- le respect de bonne foi des principes et règles d’utilisation des technologies en réseau fixés dans l’entreprise.
Le contrôle doit être adéquat, pertinent et non excessif par rapport à la finalité invoquée, nous retrouvons ainsi le critère de proportionnalité
Une procédure d’information et de consultation (dans les entreprises de plus de 50 travailleurs lors de l’installation et lors des évaluations pour toutes les entreprises) est organisée lors de l’installation d’un système de contrôle. Cette information doit être collective (via les organismes de représentations des travailleurs) et individuelle, nous retrouvons ici le principe de transparence.
Un équilibre est ainsi recherché entre les prérogatives de l’employeur soit son droit de contrôler le travail et le respect du droit à la vie privée du travailleur dans le respect de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui admet une ingérence dans des conditions strictes prévues par une "loi", terme pris dans le sens d’une règle claire et précise, accessible aux personnes intéressées.
Conséquences d’un contrôle irrégulier
Les conséquences sont de nature diverse notamment pénales si l’irrégularité du contrôle rentre dans le champ d’application de l’article 314 bis du code pénal.
Au niveau civil, la violation peut engendrer le paiement de dommages et intérêts ou la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur indélicat.
La preuve d’un fait doit être recueillie au terme d’un procédé licite à défaut de quoi elle sera écartée : est illicite le mode de preuve acquis en violation de la vie privée.
En matière de preuve, l’irrégularité du contrôle emportant violation du droit au respect de la vie privée est impardonnable : la preuve d’un fait doit être recueillie au terme d’un procédé licite à défaut de quoi elle sera écartée.
Il faut souligner d’emblée qu’un travailleur peut autoriser son employeur à procéder à un contrôle ou renoncer à invoquer une irrégularité dans le contrôle. Si la communication concerne d’autres personnes, leur accord est également requis.
Indirectement, tout autre mode de preuve (aveu, témoignages,…) qui ne ferait que confirmer un fait dont la prise de connaissance a été irrégulière sera également écarté. Ainsi, l’aveu judiciaire d’un travailleur peut être écarté dès lors qu’il a été obtenu par l’utilisation d’éléments de preuve illicites (Tribunal du travail de Nivelles, 08 février 2002 : il s’agissait en l’espèce d’un aveu fait suite à la fouille d’un sac sans l’assentiment préalable du travailleur).
Avant le développement des réglementations citées, la jurisprudence belge bien que prudente ( notamment quant aux écoutes téléphoniques qui ont été majoritairement écartées) dans l’application des ces principes fondamentaux, était diversifiée considérant par exemple la surveillance par caméra vidéo tantôt légitime compte tenu des circonstances d’espèce, tantôt totalement illégale.
En France, la cour de cassation s’était prononcée clairement dans un arrêt du 2 octobre 2001 sur base de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de l’article 9 du code civil français, de l’article 9 du nouveau code de procédure civile et de l’article 120-2 du code du travail : "Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée".
Cette vision s’inscrivait dans le prolongement de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme définie dans des arrêts de 1992 et 1997 (arrêts Niemietz et Halford). Dans la première décision, la cour européenne considère que le respect de la vie privée englobe aussi le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et ce, même au travail. Ces deux arrêts traitaient des écoutes téléphoniques qualifiées d’ingérence dans la sphère privée.
Il est donc heureux, dans un souci de plus grande sécurite juridique, que des règlementations spécifiques se construisent dans un contexte actuel de développement technologique galopant.