Primo Levi, 20 ans après...

20 ans après le décès à Turin de l’écrivain juif italien Primo Levi, rescapé du camp d’Auschwitz, voici que paraît une interview inédite de cet auteur talentueux par Catherine Petitjean. Une exposition lui est également consacrée.


Parcours

Né à Turin en 1919, dans une famille de la petite bourgeoisie aux origines juives, Primo Levi est mort tragiquement à son domicile de Turin le 11 avril 1987, en chutant dans l’escalier. Suicide selon certains, simple accident selon d’autres…

Diplômé en chimie en 1942, le jeune Levi rejoint la résistance. Il est arrêté le 13 décembre 1943 à Brusson, dans le Val d’Aoste, dans une rafle de la milice fasciste et expédié vers le camp de concentration italien de Fossoli.

En février 1944, livré aux Allemands parce que juif, il est déporté à Auschwitz III, alias Monowitz, à 6 kilomètres du camp principal. Il y reste jusqu’à la libération du camp par les Russes en janvier 1945. Après la fin de la guerre, il épouse Lucia Morpurgo, dont il aura 2 enfants. Il travaille dans une entreprise de chimie (peinture et vernis) dont il devient le directeur, et où il reste jusqu’à la retraite.

Il commence à écrire dès 1947. Son 1er ouvrage, Si c’est un homme, a frappé les esprits en étant publié très peu de temps après la fin de la guerre. Il consiste principalement en un récit de la survie de son auteur dans les camps de concentration et en une première analyse de la terrible situation à laquelle les prisonniers y étaient soumis, qui l’amène à affirmer que : Le seul fait qu’un Auschwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononcer le mot de Providence. Le livre fut longtemps méconnu avant d’être considéré aujourd’hui comme un chef d’oeuvre. Ce livre a notamment été écrit pour survivre à son passé, à la douleur et à la souffrance qui le suivait.

L’oeuvre de Primo Levi est largement composée de nouvelles mi-réalistes, mi-fantastiques, souvent imprégnées de souvenirs de sa vie concentrationnaire, de juif italien ou de chimiste.

Catherine Petitjean et Primo Levi

Auteure de cette interview qui date de 1987, mais seulement publiée aujourd'hui, Catherine Petitjean est interrogée à propos de sa rencontre avec Primo Levi.

Primo Levi, écrivain et chimiste, juif et italien, est aujourd’hui un auteur incontournable de la littérature européenne. Que représente-t-il pour vous ?
J’avais 23 ans ans lors de notre rencontre, je n’avais pas conscience que je rencontrais un homme aussi exceptionnel. Mon travail préparatoire à nos séances de relecture d’une traduction destinée à mon mémoire de fin d’études était centré sur l’écriture, "son" écriture. Au bout du premier après-midi, j’étais mise en confiance et d’autre part, je m’étais déjà remise en question au sujet de l’importance des mots. Il m’a éveillée à la "conscience", à l’attention ou la vigilance. 

Beaucoup de professeurs et d’écrivains ont examiné son oeuvre et étudié en profondeur ses ouvrages. En quoi cette plaquette peut-elle être différente ?
Ce petit livre n’a certainement pas la prétention de s’ajouter aux excellents ouvrages d’études parus jusqu’à ce jour. Il est des écrivains et des maîtres de conférence spécialisés sur le sujet, comme Philippe Mesnard, François Rastier et Daniela Amsalem. Mon but, en publiant cet interview, est de donner un témoignage fidèle d’un échange entre un homme marqué par une expérience "indicible" à laquelle il a donné des mots justes, et une étudiante qui se pose des questions sur l’écriture et la traduction qui deviendra son métier.

Et votre position quant à son suicide ?
Je sais qu’elle peut paraître catégorique et réductrice. Toutefois, il me semble vraiment paradoxal qu’un homme qui a dédié toute son existence après Auschwitz à écrire, expliquer, décortiquer, analyser et écrire le fruit de ses travaux, soit parti sans explication, sans un bruit. Lui qui a passé sa vie à être un témoin fidèle et attentif, tant à l’écriture qu’à la réception de son témoignage, ne peut pas s’être donné la mort sans explication. Il a toujours été un homme pudique, réservé, timide, mais certainement pas un homme muet. Sa mort s’est déroulée dans le silence d’une cage d’escalier. Le témoin de l’indicible par excellence est parti sans témoin de son départ. Un simple rapport de police, reprenant les termes de chute de hauteur et qui conclut que Primo Levi s’est probablement suicidé ne peut pas devenir "sa" vérité. Il faut laisser le doute intact et respecter le mystère dont sa mort est entourée.

Lorsqu’on écoute l’interview, on est saisi de la vitesse avec laquelle Primo Levi s’exprime. Cet homme était-il à ce point pressé ?
Pas vraiment, il a un débit rapide, certes, mais beaucoup d’Italiens parlent vite. Il ne perdait pas de temps en conjectures, il réfléchissait avant de parler, mais c’était un homme qui était également très spontané. Très vif d’esprit et à la répartie facile.

Selon vous, Primo Levi pouvait-il dissocier son acte d’écrire de sa propre condition humain ?
Non, je ne le pense pas. Depuis son enfance, il était entouré de livres. Son père veillait à ce qu’il touche à toutes sortes de littératures. Il avait encore tous les livres de son père.

Pouvait-on dire que Primo Levi était un écrivain engagé ?
Pas pour toutes ses oeuvres, car la fiction ne traduit pas son engagement de mémoire. Les livres comme Si c’est un homme, La Trêve, I sommersi e i salvati, oui, ce sont des oeuvres qui lui ont été dictées par un devoir de Mémoire, il le dit très souvent. Il dit même qu’il n’a pas écrit ces livres-là par plaisir.

Dans quelques années, il n’y aura plus un seul témoin direct des camps nazis. Peut-on écrire l’histoire des témoins sans les trahir ?
C’est une question très délicate. Je ne parlerais pas de trahison, mais d’imprécision, de manque de réalisme. Seuls ceux qui ont vécu les camps peuvent en parler réellement. Pourtant, je pense qu’il est possible de parler des camps et de l’horreur, de façon à toucher le lecteur, jeune ou vieux, de manière à ce que le « plus jamais ça » reste gravé dans la volonté sociale et politique de nos pays.

Félix Zandman, un autre scientifique renommé, a écrit : "il y a toujours un lendemain". Primo Levi aurait-il pu écrire comme cela ?
Je pense que les besoins des deux hommes étaient différents. Félix Zandman s’est attaché à démontrer que le lendemain existe, qu’il est possible de vivre et de se reconstruire. Primo Levi a écrit pour témoigner d’une situation et n’a pas parlé de son propre parcours psychique comme Zandman. L’écriture était sa thérapie, et il ne l’a pas décrite en tant que telle.

Le livre Primo Levi - Entre écriture et traduction est paru chez

Memogrames
.

Ce livre de 80 pages (au format 22 X 22) comprend l’interview (en italien, français et anglais) de Primo Levi réalisée en 1980 par Catherine Petitjean. Il est préfacé par Philippe Mesnard.



 

Une exposition autour de Primo Levi

La Fondation Auschwitz et l’asbl Mémoire d’Auschwitz présentent en 2008 une exposition intitulée Primo Levi, puisque c’est un homme et naturellement consacrée à la vie et à l’œuvre de Primo Levi. Cette exposition est une réalisation du Centre d’Histoire de la Résistance et
de la Déportation (Ville de Lyon). Le professeur Philippe Mesnard,
Conseiller Scientifique à la Fondation Auschwitz, en est le commissaire.

Sans adopter un parti biographique, de nombreux documents de
l’exposition nous feront découvrir Primo Levi, homme public, chroniqueur à La Stampa, dramaturge adaptant Si c’est un homme au théâtre, homme de radio et de télévision, lauréat de nombreux prix et, peu avant sa mort, pressenti pour le Prix Nobel. Le parcours proposé se conclut sur les questions que pose la place centrale occupée par Primo Levi, après son suicide, dans notre culture actuelle.

L’exposition Primo Levi, puisque c’est un homme compte une centaine de pièces reproduites en fac-similés (manuscrits, tapuscrits, livres) et de nombreuses photos jusque-là inédites. Elle se divise en 4
périodes : ses années de formation à Turin, son entrée en résistance
et sa déportation jusqu’en 1945; la mise en place de l’œuvre et de
ses dispositifs, de 1946 à 1966; la reconnaissance progressive de
l’écrivain/la reconnaissance unanime du témoin exemplaire, de 1966
à 1982; la fatigue du témoin, de 1982 à 1987. Elle se clôt sur une
section consacrée à la mémoire de Primo Levi après sa disparition.     

Primo Levi, puisque c’est un homme
Atrium de l’Espace 27 septembre
Ministère de la Communauté française 
Boulevard Léopold II, 44 -1080 Bruxelles
Ouvert du 25 avril au 3 juin 2008 du lundi au vendredi de 8h à 18h.
Entrée gratuite.









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