Les Bijoux de la Castafiore, version carolo

Les versions de Tintin dans des langues classiques ou dans des parlers locaux ne manquent pas. On connaissait par exemple une version picarde – plus exactement tournaisienne – des "Bijoux de la Castafiore". Cette œuvre d’Hergé a eu droit à une autre version wallonne ou, plutôt carolorégienne.


Ce sont les membres de l’atelier de wallon de la Maison du Hainaut à Charleroi qui, sans le cadre de leurs exercices pratiques d’écriture, ont eu l’idée de s’essayer à la traduction de l’un des célèbres et extrêmement populaires volets des aventures de Tintin : Les Bijoux de la Castafiore.

25 ans après la mort du dessinateur belge, ce qui n’était qu’un exercice est devenu une nouvelle version de la BD de Hergé grâce à la collaboration de Casterman et de la société Moulinsart. Les tintinophiles ne manqueront pas d’acquérir Lès-ôr’rîyes dèl Castafiore qu’ils glisseront à côté des traductions en ottintois (wallon d’Ottignies), en picard ou en aclot (wallon de Nivelles).

Ici la langue en usage est le wallon de la région du grand Charleroi c’est-à-dire le wallon parlé et compris dans la plupart des communes de Charleroi ainsi qu’aux proches alentours (Courcelles, Pont-à-Celles,…). En effet, au 19e siècle, à l’ère de l’industrialisation, les travailleurs venant des 4 coins de cette région, même parfois distantes de seulement quelques kilomètres, se retrouvaient dans les usines et ne parlaient pas le même wallon. Tout naturellement et au fur et à mesure de l’augmentation des contacts entre les gens, le wallon parlé dans le grand Charleroi s’est spontanément "équilibré" avec des expressions abandonnées au profit d’autres, ce qui a homogénéisé les différents parlers de la région.

Un atelier de wallon fort actif

Depuis 2003, Jean-Luc Fauconnier, licencié en philologie romane, professeur retraité de dialectologie, de français et de wallon, Président du Conseil des langues régionales de la communauté française de Belgique et écrivain wallon, encadre et guide une dizaine de participants à l’atelier de wallon carolorégien, coordonné par Nadine Fournaux, employée à la Maison du Hainaut et passionnée de wallon. L’objectif est d’y exercer et maîtriser, 2 heures par semaine et aussi bien oralement que par écrit, le wallon du grand Charleroi, selon le Système Feller, système de transcription des variétés régionales, voire locales, du wallon. Cet atelier de wallon a lieu tous les mercredis après-midi, au 1er étage de la Maison du Hainaut, avec les "élèves", des adultes passionnés par le wallon et sa richesse.

Lors de sa création, l’atelier se basait sur le principe de la table de conversation, avec des discussions sur des sujets divers, en tentant de s’exprimer oralement et le pus correctement possible en wallon. Par la suite, les participants ont trouvé intéressant de parcourir également des textes littéraires en wallon et de "s’attaquer" à la compréhension à la lecture. C’était également une bonne occasion d’expliciter le système de transcription Feller, avec les spécificités de la grammaire et de la conjugaison wallonnes. Au bout d’un certain temps, l’idée est venue de traduire un album des aventures de Tintin et de mettre ainsi en pratique l’écriture du wallon.

Dans un premier temps, l’équipe a débuté par la traduction de Tintin et les Picaros. Et chemin faisant, ils ont pensé à une traduction en langue régionale qui pourrait être publiée et éditée. Les Editions Casterman ont donc été contactées, et Etienne Pollet, responsable de la collection "Tintin", leur a conseillé la traduction de l’album de Les Bijoux de la Castafiore, déjà traduit en plusieurs types de parlers wallons ce qui permettait de poursuivre sur cette lancée.

La traduction ne fut pas de tout repos ! Elle a d’ailleurs duré presque 2 ans, sachant que les participants disposaient de 2h/semaine et pouvaient en moyenne traduire 1 page par séance. "Il est vrai que nous avons été spèpieûs", explique Jean-Luc Fauconnier. Certains participants préparaient une page à l’avance de leur côté et la présentaient à la séance suivante. Nous discutions alors tous ensemble des différentes versions proposées en cherchant à les améliorer. Nous avons pris tout notre temps. Le "groupe de wallon" a en effet souhaité proposer une version la plus respectueuse possible de la langue régionale, sans chercher à faciliter la compréhension dans le texte pour ceux qui ne la parlent pas. Par contre, pour permettre au lecteur moins averti de s’y retrouver, l’équipe a composé un lexique bien utile qui explique également les "traductions" de certaines expressions du français en wallon.

Effectivement, le wallon ne disposant justement pas d’un lexique comme le français, les injures du Capitaine Haddock ont nécessité de solides adaptations. Sans parler des incessantes contrepèteries des détectives Dupond et Dupont… Puisque ces mots et expressions étaient intraduisibles, il fallait en trouver qui soient crédibles aussi en wallon ! C’est de cette manière que la fameuse expression Mille sabords est devenue Mille bawètes, sachant qu’un sabord était une ouverture percée dans la muraille des navires d’où sortaient les boulets de canon, et donc une petite porte, une lucarne, le terme de bawète qui signifie petite lucarne, fréquemment utilisé par les mineurs de nos contrées, a donc été retenu !

Exposition Lès-ôr’rîyes dèl Castafiore

Une exposition de pièces de collection est proposée jusqu’au 5 septembre 2008 à la Maison du Hainaut. Elle comprend des planches originales de travail, des pièces rarissimes en provenance de la collection d’un tintinophile carolorégien ainsi que l’oeuvre de Nat Neujean qui fut le premier à avoir donné du volume à Tintin.

Infos pratiques

Maison du Hainaut
Quai de Brabant, 20 - 6000 Charleroi
Tél. +32 (0)71 64 10 64 – fax +32 (0)71 64 10 49
E-mail : tintinencarolo@gmail.com  
Site web : maison.hainaut.be  

Exposition : du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 13h à 16h (15 h le vendredi). En septembre : jusqu’à 16h (16h le vendredi).

Philippe Allard











© Vivat.be 2020