La Chine à l'écran

La Chine fascine. Ou, plutôt, elle impressionne. A vrai dire, elle fait peur. Mais de quelle Chine parle-t-on ? Et est-ce que le cinéma, art du "faux" par excellence, n'offre pas une meilleure image de la Chine et des Chinois que ne le font tous les dossiers et reportages spéciaux consacrés à l’Empire.


Notre vision de la Chine reste imprégnée du concept du "péril jaune". Ah ces hordes dans Le Secret de l’Espadon d’Edgar P. Jacobs. Même si Tchang dans Tintin et le Lotus bleu (1936) s'était déjà attaqué déjà aux stéréotypes, son efficacité est limité auprès de générations qui seront tout autant marquées par la cruauté des Chinois face aux blancs lors de la révolte des Boxers en 1900 (Les 55 jours de Pékin, 1963) et même à leurs compatriotes (La Cannonière du Yang-Tsé, 1966).

Puis vint le nouvel empire où le jaune fut écrasé par le rouge d'un régime qui fascina d'abord avant que la Révolution culturelle (1965) ne réveille les peurs. Ce fut le temps des Chinois à Paris de Jean Yanne (1973).

Mais le pays évoluait… jusqu'à Tien-An-Men. Et, aujourd'hui, notre attitude face à la Chine oscille entre la fascination vers un pays où se développent des zones de libre marché comme Shenzhen près de Hong-Kong, où se construisent les buildings les plus hauts, où les milliardaires sont les plus riches et les plus excentriques du monde...  et ce malaise face à cette "masse" à qui les autorités doivent recommander de faire la file, de ne pas cracher en rue et de ne pas se promener la chemise remontée au-dessus du ventre !

Nous est-il possible à une telle distance de porter un regard autre que fasciné ou angoissé ? Assez étrangement, c'est le cinéma qui peut aujourd'hui changer notre vision de la Chine. Pourtant, le cinéma est un "art du faux" par excellence, n'offrant qu'une "mise en scène" de la "vie". Pourtant, notre perception, notre image d’autres cultures, d’autres pays – comme les Etats-Unis par exemple - est largement influencée par les films ou ses succédanés TV, les feuilletons et séries.

Le barrage plutôt que la Grande Muraille

Aujourd'hui, le cinéma chinois nous propose une immersion dans le pays, dans le quotidien du tout-venant. Des films éloignés film d'action ou d'arts martiaux, une spécialité de Hong-Kong, encore qu’un Zhang Yimou est tout aussi capable de nous fasciner avec Le secret des poignards volants (2004) que de nous surprendre avec Happy Times (2000), film qui voit Zhao, amateur de femmes bien en chair, vouloir épouser une veuve plantureuse qui exige qu'il réunisse une forte somme d'argent pour le jour de la cérémonie.

Burlesque parfois, l'approche peut se révéler plus intimiste ou plus douloureuse comme dans Voiture de luxe (2006) de Wang Chao, un film aussi qui oppose les destins d'un père et de ses enfants. Ce type de film qui retrace une quête peut également égratigner des points sensibles de la Chine d'aujourd'hui comme dans Still Life (2006) de Jia Zhangke avec cette recherche du conjoint éloigné dans une ville destinée à être submergée par un barrage. Plus précisément le barrage des Trois-Gorges, celui qui inspira la peinture Nouveaux Emigrés du barrage des Trois-Gorges de Liu Xiaodong qui, paradoxalement, pulvérisa tous les records de prix pour la peinture chinoise (2,6 millions de dollars).

Même le Tibet - où l'Armée populaire de Libération est entrée en 1950 - et qu'on redécouvre aujourd'hui - est au coeur d'un film comme Kekexili, la patrouille sauvage de Chuan Lu (2004) où une groupe de volontaires, constitué pour protéger l'antilope du Tibet, s'oppose à des braconniers.

Jean-Marc Segati & Philippe Allard

(cet article est également paru dans Blister #31 - septembre 2008)
 









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