Allemagne: un requiem de Westalgie?

L’Allemagne a célébré en grande pompe les 60 ans de sa Loi Fondamentale ainsi que les 20 ans de la chute du Mur de Berlin. Deux bonnes occasions pour remarquer que les Allemands de l’Ouest (les Wessis) et les Allemands de l’Est (les Ossis) sont loin d’avoir les mêmes souvenirs et sont loin de regretter les mêmes éléments.


Westalgie contre Ostalgie = Nostalgie?

Depuis la sortie en 2003 de "Good Bye, Lenin!", l’Ostalgie est devenue un concept en soi: les produits de RDA sont cultes, les Allemands de l’Est osent exprimer leurs déceptions sur l’art et la manière dont la réunification s’est faite et même leurs regrets de voir disparaître les valeurs de l’Est - Ost en allemand. L’Allemagne assiste à une sorte de redécouverte sélective de la RDA, 20 ans après.

A contrario, les Allemands de l’Ouest ont toujours eu davantage tendance à se définir par rapport aux Allemands de l’Est, non sans une certaine arrogance. Seulement, prospérité et démocratie exemplaires sont passé et, Ostalgie oblige, place est faite à une certaine vague de Westalgie. Souvent considérée comme un symbole d’infantilité, mal-être ou réaction d’enfants gâtés, la Westalgie n’est pas encore "hype", bien qu’étoile montante.

Westalgie, tome 1

La Westalgie est un sentiment diffus qui correspond à l’Allemagne de l’Ouest d’après-guerre, des années 50 à 90, avec une croissance économique distribuant prospérité et bien-être.

C’est l’essor des zones piétonnes pour le shopping en famille, le lavage de la voiture le samedi matin par Monsieur pendant que Madame cuisine une recette de son mag Brigitte et que les 2 têtes blondes jouent avec leur loco électrique made in Märklin en grignotant des paquets d’Haribos gélatineux. Mais il n’y avait pas que les fleurs multicolores de Pril, les vendeurs d’autocollants sur la place du marché et les bonnets de bain obligatoires pour les cheveux longs à la piscine.

Il y eut aussi les sauvages années 70, avec une génération questionnant l’autre au sujet du Troisième Reich, avec une remise en question du système en place. 68, sex, drugs and rock n’roll, cheveux longs et vie en coloc avec salate de pâtes aux knackis: l’Allemagne de l’Ouest a connu tout ça contrairement à la RDA où le régime ne laissait guère de place à de telles préoccupations. Génération müsli, éducation anti-autoritaire et marches de Paques contre le militarisme, l’énergie nucléaire et la destruction de l’environnement.

Doucement, le modèle de la République de Bonn, démocratie de chambre, provinciale et étroite d’esprit s’effaçait. Le temps était venu de prendre ses responsabilités en main.

Westalgie, tome 2

La dernière génération de Wesssi a grandi avec la version allemande de Sesame Street ainsi qu’avec le show télévisé Wetten, dass... ? de Thomas Gottschalk et ses paris les plus fous. Les uns portent des baskets, d’autres des talons aiguilles, se déhanchent sur les vieux tubes ou s’intéressent à la Neue Deutsche Welle, habitent écolo, ont des fringues design ou tricotées main, roulent en VW-Golf ou Citroën 2CV, mangent Nouvelle Cuisine ou Fast Food, sont fans de pop, de techno ou ont été punks et se disent Yuppies ou Autonomes.

C’est la génération du chancelier Kohl, aux manettes de 1982 à 1998, la Génération Golf décrite par Florian Illies dans son roman bestseller sorti en 2003. Une génération née entre 1965 et 1975, restée infantile de bien-être et d’une jeunesse dorée qui n’en finit pas, une génération qui profite de la prospérité des parents et rêve de s’acheter une Golf Volkswagen plutôt que de s’engager pour l’environnement, l’équité sociale ou la paix dans le monde.

Et aujourd’hui, que reste-t-il de la "République de Bonn"?

Le parti des Verts die Grünen siège au Parlement, la lutte contre le terrorisme s’inspire des méthodes de recherche des membres de la RAF pendant "l’automne allemand" en 1977 et les étudiants bénéficient du covoiturage développé lors du choc pétrolier de 1973.

Par contre, Quelle a été racheté par Karstadt et la chaîne de grands magasins ne présente pas un bon bilan de santé économique. De même, le constructeur traditionnel de trains miniatures Märklin a fait faillite et est en instance de rachat. Le modèle rhénan semble passé.

A Berlin, nouvelle capitale de l’Allemagne unifiée, les lieux inscrits dans l’histoire de Berlin Ouest disparaissent les uns après les autres. Ce fut d’abord le cas de la gare de Zoo qui, après avoir longtemps été la gare entre Berlin Ouest et le reste de l’Allemagne de l’Ouest, fut fermée aux trains longue distance. Puis, en octobre dernier, ce fut la fermeture définitive de l’aéroport historique de Tempelhof qui assura le ravitaillement par pont aérien de Berlin Ouest en 1948-1949 et dont beaucoup de Berlinois de l’Ouest parlent encore aujourd’hui avec un trémolo dans la gorge.

Westalgie a contrario, tome 3

Bref, les temps sont favorables à un regain de Westalgie. A la fois, les Allemands de l’Ouest regretteraient cette période d’insouciance, de plein emploi et de croissance et en même temps, ils ressentiraient comme le besoin d’affirmer leur identité de Wessis proportionnellement à la vague d’Ostalgie actuellement à la mode.

La Westalgie n’est en effet pas dénouée de tout ressentiment. Nombreux sont les amalgames entre ralentissement économique et réunification du pays. Ainsi le pacte de solidarité assurant les transferts pécuniers de l’Allemagne de l’Ouest vers l’Allemagne de l’Est est mal aimé de nombre de Wessis qui par ailleurs s’avancent en démocrates exemplaires à l’égard des Ossis. Il arrive donc que la Westalgie véhicule des valeurs peu positives, l’Ouest se définissant alors jalousement par rapport à l’Est.

Mais le piquant de la chose, ce sont peut-être bien les Allemands de l’Est, touchés à leur manière par la Westalgie. Avant la chute du Mur de Berlin, ils rêvaient d’une Allemagne de l’Ouest qui exaucerait tous leurs rêves, un point de fuite ou un paradis à la Majorque. Vingt ans après, beaucoup sont désillusionnés, beaucoup ont aussi la Westalgie.

Filmographie

  • Le miracle de Bern (2003), réalisé par Sönke Wortmann. Avec la victoire de son équipe nationale lors de la coupe mondiale du monde de football de 1954, l’aigle allemand se souvient qu’il a des ailes. Un moment charnière de l’histoire de l’Allemagne d’après-guerre.
  • 23 (1998), réalisé par Hans Christian Schmid. Un passionné d’informatique et de cyber-intrusion et un cybernaute ultra-doué rencontrent en 1986 un officier du KGB à Berlin-Est qui leur propose d’acheter leur talent.Un thriller mystique basé sur des faits réels.
  • L'Insaisissable d’Oskar Roehler (1999). Une ancienne figure de la scène littéraire de gauche des années 60 vit seule dans un appartement chic à Munich où la nouvelle de la chute du Mur de Berlin vient mettre fin à ses idéaux. Elle doit recommencer une nouvelle vie. Un film sur le mal-être de l’Allemagne bourgeois des années 80.
  • Herr Lehmann (2003), réalisé par Leander Haußmann d'après le roman éponyme de Sven Regener. Mise en scène d’un barman alcoolique et trentenaire à Kreuzberg, quartier trash de Berlin Ouest peu avant la chute du Mur de Berlin.

Littérature

  • Crazy (1999) de Benjamin Lebert. Un roman d’école, celui d’un garçon de 16 ans dans un internat allemand pour cause de mauvaises notes en maths qui vit son adolecence avec un bonne bande de copains. Un classique de la littérature allemande écrit par un jeune paralysé du côté gauche.
  • Génération Golf (2001) de Florian Illies. Ce best-seller allemand revient sur cette  allemande née entre 1965 et 1975, plutôt pragmatique, terre à terre et assez carriériste et dont l'idée du bonheur n'était pas la révolution ou la sauvegarde de la planète comme leurs parents mais plutôt l'achat d'une Golf Volkswagen.

Charlotte Noblet

 









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